La " décadente " de Jean Lorrain
Par Pierre Philippe
Le monde 31 Juillet 1998.
Des écrivains fascinés par le music-hall : chansons, danses, caf' conc Souvenirs Parfum de nostalgie, d'une France d'avant la fracture de 1940-1945. Voici la première de ces quatre folles histoires et vraies passions, celle de Jean Lorrain et Yvette Guilbert.
Finalement, après quelques rendez-vous manqués,
ils se tenaient face à face, le romancier de Très
Russe, le poète de Modernités, le billettiste au
vitriol de L'Echo de Paris et la diseuse " fin de siècle
", celle qui venait de descendre des beuglants de Montmartre
pour conquérir la capitale tout entière. Jean Lorrain.
Yvette
Guilbert. Et le plus maquillé des deux n'était pas
celle qu'on pense.
Il considérait, de ses gros yeux ourlés de khôl, le modeste logis de la chanteuse. Rien qui le choquât dans cette sorte de visite domiciliaire : la donzelle ne s'était pas encore entichée des " merderies oisonneuses " de Lautrec qu'exécrait Lorrain, et ses penchants littéraires pour les petits maîtres du XVIIIe rejoignaient les siens. Le coup de foudre qu'il avait éprouvé en la voyant au Divan japonais se confirmait. Quant à elle, elle n'avait presque plus peur de cette étrange combinaison d'almée et de lutteur de foire traînant après elle les ragots les plus scandaleux. Ce rendez-vous au sommet était, après tout, le fruit d'une intervention assez canaille : celle d'Auguste Musleck, le propriétaire de ce Grand Concert parisien où Yvette était acclamée depuis des semaines. Avant de diriger un café-concert, Auguste avait été maître nageur aux Bains de la Samaritaine et, tout comme Lorrain, fréquentait un hammam du faubourg Saint-Denis où s'ébattaient ceux qui " ne sont point dangereux pour les dames "... C'était là que les deux hommes avaient évoqué une possible collaboration entre Yvette et celui qui se surnommait " l'enfilanthrope ".
La connaissance qu'elle avait de ces bougreries paradoxales émoustillait fort la jeune vedette. C'est qu'elle savait qu'une partie non négligeable du public du caf'conc' et singulièrement le sien appartenait, comme l'avait noté Lorrain lui-même, à " cette race de femmes aux cheveux teints au henné qui tiennent sur elle la jumelle braquée, toutes pâles, et lui envoient des bouquets d'orchidées symboliques " tandis que d'autres " damnés ", garçons bouchers éperdus, petits-bourgeois corsetés de principes mais dévorés de désir, venaient justement là communier dans ce déni de morale qu'étaient le spectacle et le répertoire du jeune music-hall.
Lorrain avait tiré de sa poche deux feuillets et commencé
à lui dire sa Peur d'aimer, tout exprès composé
pour elle :
" J'ai peur d'aimer mais je voudrais
Pourtant connaître ce que c'est
Comme un fruit dans la bouche
Qui fondrait jusqu'au fond
Du coeur : un vrai bonbon
Qui sucre ce qu'il touche.... "
Elle fronça le nez. Il s'arrêta, décontenancé.
Elle alla droit au but : "Très joli, mais j'en suis
déjà encombrée de ces romances juste un peu
équivoques. J'attends
autre chose de vous... La satire d'un vice baroque... " Ah
! Yvette voulait être violentée par ses images inlassablement
caressées de marlous et de jésus,de mariniers et
de lopes ! Il voyait déjà le tableau. Jeux de masques
et de surins. Fouets et dentelles. Abattoirs et pagodes. Et avec
cela, des contorsions de style
inouïes, des vocables coruscants, des adjectifs diaprés
et comme chapardés aux toiles de Gustave Moreau ! Entre
Wilde et Rollinat, il serait dès demain le Huysmans de
la chansonnette !
Il descendit l'escalier sur un nuage. Ce n'était pas
tant la gloire du futur parolier qui l'illuminait que la perspective
qu'Yvette lui ouvrait de se glisser tout entier en elle, d'être
son inspirateur et de se muer lui-même en cette femme. Oui,
il serait Yvette Guilbert. Il se coulerait dans cette longue robe
sans bijoux, couleur d'anis l'hiver, l'été couleur
d'orgeat, et remonterait jusqu'aux aisselles les gants noirs,
cette signature. Pour la teinture rousse, Jean Lorrain
n'avait rien à lui emprunter... Il se vit, des deux côtés
de l'orchestre, applaudissant à tout rompre parmi ses amis
éblouis Schwob ou Rachilde son double féminin
triomphant dans le grésillement des rampes à gaz.
A travers elle, il allait passer, à la fureur de ses ennemis
innombrables, du club étriqué de ses lecteurs à
l'audience universelle et généreuse des goualeurs.
Il se fit livrer un phonographe et des rouleaux. Il rouvrit son
dictionnaire de rimes. Il commença à se battre avec
les lois obscures de la prosodie chansonnière. Il lui fallait
faire oublier à Yvette la cohorte de ses fournisseurs échappés
du Chat noir, surpasser ce Léon Xanrof dont elle avait
pratiquement adopté l'oeuvre entière, à commencer
par l'inusable Fiacre. Mais surtout, il se donnait pour tâche
principale de modifier le genre déjà bien défini
de la vedette, d'évacuer les calembredaines de son répertoire.
Il serait celui qui ferait de Guilbert bien autre chose que la
muse d'une bohème de quoi tout le séparait, la Galatée
de la décadence. Mais, comme une suée, une pensée
l'inonda soudain : et si cette vicieuse clownesse allait ridiculiser
ses chers égarements ? Un interminable silence s'établit
alors entre le thaumaturge en proie au doute et l'inspiratrice
impatiente. Une volée de télégrammes s'ensuivit,
sans
réponse du poète. Enfin, alors qu'elle n'espérait
plus rien, et son nouveau spectacle commencé, Yvette reçut
le manuscrit de Fleur de berge. Elle tomba des nues : quoi, le
sulfureux Lorrain n'avait pas trouvé d'autre inspiration
que cette églogue, certes un peu poivrée, mais qui
eût pu être signée d'Aristide Bruant ?
Tout de même, annoncer à son public ne serait-ce qu'une bluette de Lorrain la comblait d'aise. Elle le félicita donc, lui demanda de gommer quelques mots un peu lestes, et envoya Fleur de berge rue de Valois où messieurs Bernheim, Desforges et Desfossés, censeurs gouvernementaux, veillaient à la moralité du répertoire des cafés-concerts. L'autorisation obtenue, elle troussa une mélodie adéquate et créa bien vite l'oeuvrette aux Ambassadeurs où, comme on l'imagine, Jean Lorrain, ivre de fierté, vint l'entendre au milieu d'une petite troupe d'amis choisis. Dans sa loge, Yvette l'admonesta : " Et ma chanson décadente, Jean ? L'auriez-vous oubliée ? "
Mais, en février 1893, Lorrain fuit Paris, cherchant
au soleil d'Algérie un improbable remède à
ces maladies et ces accidents dont ses passions secrètes,
disait-on méchamment en ville, étaient la cause
principale. De là, il bombarde Yvette de dizaines de propositions
de textes anodins qu'elle lui refuse. Il fulmine en lisant dans
les gazettes qu'elle continue à soulever les foules avec
les " pauvretés " de Mac-Nab, Maurice Boukay
ou Gabriel Montoya. Il se soulage en fustigeant, dans ses billets
de L'Echo de Paris, les auteurs et les amis d'Yvette, quand ce
n'est pas elle-même qu'il érafle au passage. Mais,
en convalescence à Plombières, en août, il
cède enfin au désir de la chanteuse. Entre une halte
à la source et une lampée d'éther, il écrit
sa Morphinée : " Oh la douceur de la morphine Son
froid délicieux sous la peau On dirait de la perle fine
Coulant liquide dans les os. "
Avec cela, Guilbert sait qu'elle va faire passer un frisson sur les fauteuils de la Scala. Elle le lui écrit. Heureux malgré ses souffrances, il cesse immédiatement le feu roulant de ses rosseries journalistiques.
" Il faut que Goncourt voit cela ! ", s'exclama-t-il lorsque, de retour à Paris, il vint l'applaudir, exsangue et plus que jamais fardé. " J'étais tellement empoigné que je n'ai presque pas entendu les paroles ! " Et le voilà parti dans de grands développements sur la gestuelle d'Yvette. Face au miroir de la coiffeuse, il n'hésitait pas à lui déconseiller quelques attitudes et mimiques, tandis qu'elle pensait, un peu vilainement, que le goût de " cet uraniste fardé de rose et de mauve comme une dragée de baptême " comptait tout de même un peu moins que celui du prestigieux parterre qui lui tressait des lauriers sans partage : Zola, Daudet, Loti, Jammes et Mirbeau, ces vrais hommes. Et lui, qui ne se jugeait pas indigne de l'aréopage, s'attristait des rebuffades de la soeur qu'il s'était choisie.
Il invita Yvette à rencontrer Edmond de Goncourt, non
à la Scala, mais chez lui, rue d'Auteuil. Il lui fit visiter
sa chambre ornée de grenouilles de faïence verte posées
sur des fauteuils roses, d'une tête de saint Jean-Baptiste
en cire avec imitation de sang au col et d'un lugubre étalage
de bocaux, de pinces chirurgicales et de paquets d'ouate prémices
de l'opération du lendemain qu'il mania avec complaisance
de ses doigts surchargés de gemmes. " Eh oui, chère
Yvette, qui sait si, demain soir... ", et il essuya une larme
teintée
d 'un fard turquoise qui glissait de sa paupière. On passa
à la salle à manger où se tenait Mme Duval,
la mère, " adorablement simple et distinguée
qui, l'écrit Yvette, semble si loin de ce Paris que synthétise
son fils ". Et, toujours selon la chanteuse, Goncourt était,
des cheveux à la peau et à la chemise, d'un blanc
si pur qu'il lui parut " dîner face à un paysage
de neige ".
Lorrain ne mourut pas encore cette fois-là. Peut-être
même la croyance qu'Yvette fût enfin toute à
lui après ce festin funèbre l'encouragea-t-il à
lui écrire Décadente puis Bandeaux plats
" J'ai les bandeaux plats :
Et les seins de même
L'air veule et l'oeil blême
D'un petit oblat. "
Il la soupçonnait d'avoir toujours voulu le stigmatiser
avec ses satires de second degré. Il ne faisait que lui
rendre la monnaie de sa pièce. Mais elle refusa les
textes tout net, se tenant pour offusquée de l'allusion
faite à son absence de poitrine...
C'est aussi que l'étoile absolue qu'elle était devenue en ces quatre années de compagnonnage rebelle était désormais attentive aux qu'en-dira-t-on qui continuaient à pleuvoir sur le pauvre Lorrain (nous sommes en plein dans les procès de Wilde, et il se trouverait bien à Paris quelques personnes pour souhaiter qu'on traitât de cette manière les " antiphysiques " de nos Lettres). Elle fait construire, boulevard Berthier, un hôtel art nouveau dont les photographies emplissent les revues mondaines. Des tournées fracassantes l'entraînent au bout du monde. Que lui importe désormais le malheureux publiciste traînant sa vérole et sa toxicomanie de clinique en clinique ?
Alors il vise au plus sensible : " Comment fait-on pour gagner de l'argent avec une chanson ? Vous avez chanté Fleur de berge plus de mille fois et je n'ai pas touché un sou ! Un succès peut-il rapporter 25 louis par an, ce que vous touchez, je crois, pour une soirée ? " Mais il lui pardonne encore tout, cependant: son silence indifférent, son arrogance, son goût pour la réclame et les interviews de complaisance. Une seule chose l'irrite et le fait regimber dans des notules qu'Yvette estime diffamatoires : s'il la juge toujours exemplaire dans sa présence scénique (et il ira l'acclamer anonymement à chacun de ses passages parisiens), il persiste à trouver son répertoire indigne de ses dons. Sans comprendre qu'elle n'attend plus rien du guide fraternel qu'il s'était rêvé.
Un soir, en sortant de la Renaissance, elle le croisa et, sans le saluer, le fusilla du regard. C'est que, le matin même, il avait crayonné, de sa rentrée aux Folies Bergère, cette esquisse nostalgique et venimeuse : " Yvette a engraissé... Lourde et ronde, elle a perdu les arêtes et les acidités de son talent de poupée macabre. Qu'est devenue la fantastique mademoiselle Macchabée qui détaillait au pèse gouttes de la névrose aux bons bourgeois ? C'est aujourd'hui une grasse madame dodue qui grasseye. Encore une qui est mûre pour l'Exposition. " La chanteuse, campée sur le trottoir, lui cracha " tout son mépris pour ses laides vengeances ". Blanc sous ses fards, il voulut fuir lorsqu'il entendit que la foule commençait à applaudir les déblatérations d'Yvette. Dans son recul, il bouscula une vieille femme en laquelle la chanteuse reconnut la mère de Lorrain qui la contemplait, pâle, suppliante, la figure convulsée. " Alors, termine Guilbert, je pris la main de cette femme et l'embrassai, lui demandant pardon à elle de la peine que j'avais dû lui faire... " Jean Lorrain et sa mère disparurent dans la nuit du boulevard. Il mourut en 1906 d'une perforation du côlon sans jamais revoir Yvette.
par Pierre PHILIPPE
© Le Monde, 31 Juillet
1998. Tous droits réservés.
Spécialiste du cinéma d'archives, Pierre Philippe
est aussi parolier, notamment pour Juliette et Jean Guidoni.
A lire : Yvette Guilbert l'irrespectueuse, de Claudine Brécourt-Villars,Plon,
1988. Jean Lorrain, de Thibaut d'Anthonay, Plon, 1991.
A écouter : YvetteGuilbert, 47 enregistrements originaux,
1897-1934, EPM.
Colette et la marquise scandaleuse
Par Pierre PHILIPPE
Le Monde 7 Août 1998.
Des écrivains fascinés par le music-hall : chansons, danses, caf' conc Souvenirs Parfum de nostalgie, d'une France d'avant la fracture de 1940-1945. Deuxième de ces quatre folles histoires et vraies passions: Colette, Malthide de Morny et leur "Rêve d'Egypte" mouvementé
Elle était calme, malgré l'heure fatidique qui approchait, Sidonie Gabrielle Colette, épouse Henry Gauthier-Villars, dit Willy. Elle se jetait encore de la poudre d'or sur le front qui retombait sur ses paupières et ses cils, alourdis de fard vert émeraude. Elle avait décrété que c'était là le maquillage d'une momie et elle allait être, dans quelques minutes, cette momie sur la scène du Moulin Rouge. Elle jaillirait d'un sarcophage peinturluré, le corps prisonnier d'un long ruban entortillé. Franck, l'égyptologue, reculerait, saisi par l'apparition, puis, fasciné, s'approcherait, oserait saisir le bout du ruban détaché, le tirerait... Alors, petit à petit, son corps se libérerait, s'offrirait... On irait jusqu'aux dernières limites du possible... Et Dieu sait qu'au music-hall les dernières limites sont extensibles. Elle serait nue, ou tout comme: Franck, dans un baiser fougueux, éviterait qu'un père de famille égaré n'aille derechef aviser la commission Bérenger que Mlle Colette Willy avait, une fois de plus, exposé sa " nature " aux yeux d'un public qui commençait à se lasser des maillots couleur chair; ces disgracieux collants que Colette, pour sa part, avait jetés aux orties depuis belle lurette parce que, comme elle venait de l'écrire dans ses Dialogues de bêtes: "Je veux danser nue si le maillot me gêne et humilie ma plastique. je veux chérir qui m'aime et lui donner tout ce qui est à moi dans le monde, mon corps si doux et ma liberté.. "
L'interprète du rôle de Franck entra dans la loge, embrassa Colette dans le cou et lui dit: "Je meurs de trouille. - Ce sera un triomphe, ma chérie, je te le prédis, lui répondit la momie. - On voit bien que tu n'as pas vu la salle... Ils n'oseront pas, après tout ce sont des gens du monde ! - Mais, ma Colette, tu n'imagines pas de quoi sont capables les gens du monde dans certaines circonstances ! " Et elle savait de quoi elle parlait, Mathilde de Morny, marquise de Belbeuf, fille du frère adultérin de Napoléon 111, dite l'" oncle Max " dans les cercles saphiques de la capitale ; cercles qui allaient s'élargissant dans ces premières années du siècle sous le triple règne des beautés tarifées comme Liane de Pougy, des gloires du Boulevard comme Eve Lavallière ou du gratin culturel et mondain où scintillait Natalie Clifford Barney, " amazone " yankee régissant une république de femmes libres qui se nommaient Renée Vivien, Lucie Delarue-Mardrus, Romaine Brooks ou Eva Palmer et que rejoindraient bientôt Gertrude Stein et Alice B. Toklas, Adrienne Monnier, Sylvia Beach, Djuna Barries.
A "oncle Max", Colette préférait l'autre surnom de la marquise: "Missy". Et ce surnom-là, tout le monde le connaissait. La preuve, c'est que Max Viterbo annonçait la participation de la scandaleuse marquise à la pantomime Rêve d'Egypte en inscrivant sur ses affiches, en caractères énormes, son transparent anagramme, Yssim... Quel directeur de music-hall aurait été assez fou pour refuser une telle attraction, malgré - ou plutôt, en raison de l'esclandre prévisible et les poursuites judiciaires probables ? Pour faire bonne mesure, Missy avait autorisé que l'on imprimât sur le placard et peignît aux portes du théâtre le blason prestigieux de sa maison. Une initiative douteuse qui avait fait déborder la coupe: tous les Morny disponibles étaient là ce soir, avec le prince Murat et une escouade de membres du jockey Club. Une salle comme le Moulin Rouge en avait rarement accueilli, des fracs et des robes du soir qui s'ennuyaient ostensiblement au déroulement de la revue. Ils n'étaient pas venus pour cela. lis étaient venus pour le seul tableau sur quoi s'achevait, avant le final, ce Rêve d'Egypte que répétaient depuis quinze jours Colette Willy et Missy sous la direction de Georges Wague. Et cela allait être, au moins, la bataille d'Hernani.
" On les aura, Missy, on les aura ! " Colette se leva avec difficulté, entravée par sa bandelette, et siffla admirativement l'allure de Mathilde. Celle-ci avait copié à s'y méprendre le costume masculin, le visage pâle et la coupe en brosse de la fameuse madame Dieulafoy, l'équivoque orientaliste dont Tout-Paris se gaussait dès qu'il en avait fini avec elle-même. Et c'était une bien grande naïveté de penser qu'elle détournait ainsi, sur une autre gomorrhéenne, l'ostracisme d'une foule qui voulait bien se laisser bousculer, mais à l'intérieur d'un code dont Missy et ses pareilles avaient oublié jusqu'à l'existence. "Et si Wague jouait mon rôle, ce soir? Il connaît les pas.... hasarda Missy - Ta, ta, ta !Ils sont venus pour nous voir, ils NOUS verront ! ", répliqua l'auteur des Claudine.
On ne résistait pas à une telle femme, un bloc d'énergie dont rien -déjà - ne pouvait contrarier les élans vitaux. Elle avait transformé le bannissement outrageant que lui avait imposé Willy en hymne triomphant à la liberté des corps, laissé là le ménage qu'elle formait avec son époux et la trop jolie Marguerite Maniez, dite Meg Villars, pour se laisser chérir par la marquise. Mais elle continuait à travailler à l'" atelier " littéraire de Willy et envoyait de cinglants droits de réponse aux auteurs de perfidies des petits journaux : " Ne réunissez pas, je vous prie, et si intimement dans l'esprit de vos lecteurs, cieux couples qui ont arrangé leur vie de la façon la plus normale que je sache et qui est leur bon plaisir! " Tout cela ne manquait pas de cran, même si la société parisienne craquait singulièrement sous la pression patiente de tous ceux-là qui, comme Colette, avaient décidé d'" arranger leur vie de la façon la plus normale " et selon " leur bon plaisir ", anticipant ainsi sur les Années folles.
Mais, bien plus que dans l'exercice de la vie singulière que menait la jeune femme entre les fantaisies voyeuristes de Willy, sa cour de " nègres " homosexuels et celle des tendres amies de Natalie Barney, c'est au music-hall qu'elle avait touché du doigt ce climat presque sauvage de liberté. C'est là que, paradoxalement, elle avait renoué avec l'enchantement de son adolescence rebelle et, s'exhibant en tenue plus que légère dans des paysages de toile peinte, revécu l'exaltation de ses courses à travers les taillis poyaudins, l'ivresse des trempettes - nue - dans les mares et, dans le chatoiement artificiel des rampes électriques, retrouvé la féerie des crépuscules. Elle aimait à la folie ce climat d'intimité passionnelle, cette sagesse et cette folie qui pouvaient s'y exprimer en toute impunité. Elle aimait cette beauté offerte sans précaution et même cette vulgarité crâneuse qui cachait tant bien que mal des souffrances indicibles. La poussière, l'odeur du suint et de parfum à quatre sous, la viscosité des maquillages, le luxe tapageur des costumes et la chair la plus intime dévoilée, tout cela la grisait, pendant que la rude discipline des répétitions, les horaires stricts et les remontrances sans tendresse lui rappelaient - en mieux -l'exercice de la chose littéraire à quoi son mariage précoce l'avait rompue. Et c'était là qu'elle s'était réfugiée, depuis un an, depuis cette année 1906 où elle avait dansé dans La Romanichelle à l'Olympia, puis dans Pan à Marigny. Toujours des rôles de créatures libres, plus que libres...
Cela n'empêchait pas cette inlassable abeille travailleuse de raffiner le miel collecté dans la trivialité des loges et des coulisses. Elle en tirerait très vite les esquisses savoureuses de La Vagabonde et, plus tard, de L'Envers du music-hall, où les critiques les plus perspicaces décelèrent le regret qu'elle avait d'utiliser seulement en toile de fond décorative pour les intrigues conventionnelles ce monde qui lui tenait tellement à cur. Elle s'en vengerait un jour où, chargée d'une très respectable chronique Théâtrale au journal,elle y traiterait des dernières nouveautés en matière de revue à grand spectacle au même titre que des productions du Théâtre français, du Boulevard ou du Cartel, leur réservant ses métaphores les plus éblouissantes, traçant d'inoubliables portraits de ses copines Sorel, Mistinguett ou Spinelly.
Mais nous ne sommes là qu'au soir du 3 janvier 1907. Il est exactement vingt-deux heures quarante cinq. Colette et Missy, entre deux portants, semblent deux martyres promises au supplice dans le flot des petites femmes qui s'échappent du tableau de La Roseraie magique. Les machinos traînent en scène le sarcophage. Colette s'y enfourne. Dans la lumière de service, et tandis que le prélude d'Edouard Mathé résonne de l'autre côté du rideau d'avant-scène, Missy gagne sa place, pose un genou sur un fauteuil et fait mine d'étudier un grimoire. Brusquement, le " torchon " se lève. Quelques quolibets vite réprimés montent de la salle. Missy pâlit encore un peu plus sous son fard blanc. Elle se souvient des horreurs qu'elle entendit, l'an passé, quand elle remplaça, pour un soir, Georges Wague dans La Romanichelle, des " Vas-y, ma vieille Yssim ! Prends-la ! Mais prends-la donc ! " Elle avait serré les dents et continué le jeu, pour l'amour de Colette. Elle jette le livre au loin, s'approche du sarcophage dans une lumière qui change et passe à l'effet " mystère et fantastique " tandis que, dans la fosse, une harpe prélude à l'apparition de la momie-Colette. La voici. Imperceptiblement, elle adresse un clin d'oeil Missy " On les aura, ma chérie ! "
Voire. La main de la marquise saisit la bandelette pendante. Au rythme du thème " oriental ", Colette libère ses bras, une épaule... Alors, comme un coup de lame, le premier sifflet, qui n'est que le signal pour un concert de dizaines d'autres. Et puis les cris, les beuglements, tout un orchestre cruel qui tend à couvrir celui du Moulin. " Tiens bon, Missv! ", crie Colette. Elle peut crier, bien qu'elle exécute une pantomime : personne, déjà, ne peut plus l'entendre. Un sein apparaît maintenant. "Je t'aime... ", articule Missy. Les Morny, les Murat, le jockey Club et leurs hommes de main se déchaînent, malgré les protestations et les applaudissements de ceux qui sont venus là pour seulement se rincer l'il. Dans une loge, reconnaissable entre tous avec son " impériale " et son haut crâne dégarni, Willy se lève et crie " Bravo ! ". On le reconnaît, on se détourne un instant vers lui pour lui lancer des " Cocu ! Cocu ! ".
C'est un inimaginable hourvari au milieu duquel les deux femmes continuent à mimer la passion. Un malin lance de la monnaie sur le plateau. Elle est bientôt rejointe par des épluchures d'orange, des coussins et même - ô prévoyante muflerie -des gousses d'ail. Missy renverse Colette pour, comme prévu, cacher sa nudité. Le rideau tombe avec précipitation, mais la bataille continue. On enchaîna comme on peut le final de la revue, tandis qu'une partie de la salle gagnait les couloirs, avide de contempler la raclée que les hardis bonapartistes, faute de pouvoir châtier deux faibles femmes, promettaient d'infliger à Willy, supposé être l'auteur occulte de ce honteux divertissement...
Le lendemain, Viterbo sera convoqué par Louis Lépine, préfet de police, et sommé d'interrompre les représentations de Rêve d'Egypte. Après quelques atermoiements, il obtempérera et Gaston Calmette, dans son éditorial du Figaro, pourra s'en réjouir. Mathilde de Morny intentera un procès au Moulin Rouge pour rupture de contrat et réclamera dix mille francs de dommages et intérêts. Quant à Willy, il perdra dans l'affaire sa rubrique de " L'Ouvreuse " à L'Echo de Paris, commençant ainsi sa lente descente vers l'oubli et la misère
Et Colette ? Elle écrit à Wague que ce scandale peut servir profitablement la carrière de la pantomime en province et en Belgique. Pour elle, ce n'est qu'un épisode à peine désagréable. Demain, elle créera La Chair, L'Oiseau de nuit, La Chatte amoureuse et Bat'clAt', ne quittant les planches des music-halls qu'en 1912. Planches qu'elle foulera de nouveau, comme un regret, lorsqu'elle acceptera de dire quelques pages de L'Envers du music-hall à L'ABC, en 1936. Le métier. Ce sacré métier. L'argent, eh oui 1 L'ingrat Willy avait revendu les droits des Claudine. Il fallait manger, aussi. Ce souci n'était pas la moindre des raisons qui l'avaient poussée dans cette " usine à plaisirs ". Mais ce qui l'y retint était d'un tout autre ordre. Un rendez-vous permanent avec elle-même, sans doute, et, bien au-delà du " souci nouveau de gagner moi-même mon repas, ma robe, mon loyer ", cette " défiance sauvage, le dégoût du milieu où j'avais vécu et souffert, une stupide peur de l'homme, des hommes et des femmes aussi... Un besoin maladif d'ignorer ce qui se passait autour de moi, de n'avoir auprès de moi que des êtres rudimentaires, qui ne penseraient presque pas... Et cette bizarrerie encore, qui me vint très vite, de ne me sentir isolée, défendue de nies semblables, que sur la scène - la barrière de feu me gardant contre tous... "
Pierre PHILIPPE.
* Les uvres de Colette sont disponibles dans de nombreuses
éditions, notamment de poche, et dans la collection "
Bouquins " de Robert Laffont. Parmi les livres sur elle et
son entourage, signalons Colette, l'éternelle apprentie,
de Jean Chalon (Flammarion) ; Colette libre et entravée,
de Michèle Sarde (Seuil); Amoureuse Colette, de Geneviève
Dormann (Albin Michel); Colette, de Herbert Lottman (Gallimard);
Feu Willy, de François Caradec (JeanJacques Pauvert).
© Le Monde, 7 Aôut 1998. Tous droits réservés.
par Pierre PHILIPPE.
Le Monde 14 Aout 1998
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Ca faisait un bout de temps qu'on ne vous voyait plus, monsieur Desnos, s'exclama le barman, qu'est-ce qu'on vous sert?" Mais Robert Desnos n'avait pas soif. Il demanda, d'une voix presque inaudible, où il pouvait mettre la main sur monsieur Steph. Ce nom avait suffi au barman. Le jeu de piste commençait pour le poète. Il alla de zinc en chambre d'hôtel borgne, de coin de rue en atelier de photographe pour clichés spéciaux et finit par enfouir un sachet hors de prix au fond de sa poche, le joignant au pneumatique que sa main avait, depuis une heure, fébrilement froissé. Le pneumatique d'Yvonne, envoyé au journal. Et ce bout de papier où elle avait tracé 2 trois lignes louvoyantes avait suffi à l'arracher à la salle de rédaction du Merle et à le précipiter vers Pigalle.
Il héla un taxi sur la place, lui demanda de foncer vers Neuilly mais, à la porte de Champerret, le fit stopper devant un fleuriste. Il ne voulait pas paraître à la porte d'Yvonne George comme un vulgaire pourvoyeur, mais aussi comme un admirateur toujours éperdu, un amoureux. Et bien qu'il fût déjà un peu épris de la femme de son ami Foujita, la belle Youki, il était encore plein d'un désir inassouvi pour la chanteuse, de bien plus qu'un désir: l'espoir toujours déçu que cette femme et lui formeraient l'une de ces gémellités amoureuses rayonnant à jamais dans le ciel des passions légendaires. Il acheta tous les petits bouquets d'anémones et les fit assembler en une énorme offrande. C'était la fleur d'Yvonne, il en avait décidé, tout comme l'étoile était son emblème. Et le bateau. Tout ce qui appelait l'immensité, le voyage vers l'infini, les profondeurs insondables, entre le bleu de la turquoise et le noir du dross, les couleurs de ses robes de scène.
Une petite femme, laide et effacée, lui ouvrit. Il ne lui dit pas même bonjour, certain de sa haine comme il l'était de la sienne. Il connaissait le chemin. Dans une semi obscurité et dans l'entêtant arôme de l'opium mêlé à celui du " Jicky " de Guerlain, il alla jusqu'à la chambre où elle faisait semblant de lire, ébouriffée, une robe de chambre de soie passée sur un vilain peignoir de bain, une mule battant à son pied tendu. Elle eut juste un mot pour les anémones, sa main déjà dans la main de Desnos fouillant sa poche. Elle vit qu'il était foudroyé par son visage bouffi, ses yeux trop maquillés, la fébrilité de tous ses gestes. Elle évita les zones de lumière mais, en gage de reconnaissance, laissa s'ouvrir un peu plus son décolleté, fit en sorte qu'une de ses jambes se révélât, bien au-dessus du genou, puis disparut dans la salle de bains en lui criant un joyeux: " Sers-toi, Robert! "
Il se versa un verre de fine et, sans autre sentiment que celui du devoir accompli, il l'attendit, son regard balayant la galerie d'Yvonne. Son affiche par Van Dongen, ses portraits par Man Ray ou par Henri Manuel et l'aquarelle qu'il avait faite d'elle, bien avant de la connaître: c'était bien le moins, pour lui qui était passé maître dans tous les secteurs de la magie, les arts de la divination, les sommeils hypnotiques qui épataient jusqu'à Benjamin Péret et dans lesquels il "parlait surréaliste ", avec ces si délicieuses contrepèteries mises au point par cette chère Rose Selavy, autrement dit Marcel Duchamp. Les années d'or, où il pouvait se considérer comme l'enfant chéri du groupe, le saint Jean d'un Jésus nommé André Breton. Les années Yvonne surtout. Mais les intégristes de la révolte ne pouvaient que lui pardonner une si flagrante infidélité en vertu du dogme de l'amour fou.
Amour fou, en effet. Quand cela avait-il éclaté exactement ? Etait-ce un de ces jours de 1924 où elle s'essayait, avant sa prestation triomphale de l'Olympia, en novembre, à gagner un public réticent Chez Fisher ou au Buf ? Car, bien entendu - et Robert Desnos ne pouvait qu'en souffrir, déjà -, Jean Cocteau avait le premier repéré cette étrange jeune Belge que Paul Franck, le directeur de l'Olympia, avait découverte à Bruxelles et qu'il avait, sur un coup de cur, fait débuter dans son établissement en 1920. Des huées avaient accueilli son passage : qu'est-ce que c'était que ce drôle d'oiseau au visage de pierrot triste disant plus que chantant, dans une débauche d'effets théâtraux, un répertoire sinistre comme un cabaret au bord de l'Escaut? Quelques-uns l'avaient pourtant adoptée comme l'espoir d'une nouvelle grande figure de la comédie ou du mime, si ce n'était de la chanson. Elle avait paru, en nourrice, dans le Roméo et Juliette, de Cocteau et Jean Hugo, aux " Soirées de Paris " du comte Etienne de Beaumont, à la Cigale et dans un film de Loïe Fuller, Les Incertitudes de Coppélius.
Quoi qu'il en soit, la première fois que Robert Desnos l'avait vue et entendue, un bouleversement s'était produit en lui, une remise en question de tout son univers. Cette silhouette sombre aux gestes étudiés, plus longue encore d'être surmontée d'une tête grosse comme un poing, tous ses cheveux courts plaqués en arrière, ces yeux immenses masqués d'un fard agressif, cette bouche violette qui lançait comme des appels de détresse des complaintes antiques, des chansons de marins ou des airs surannés du début de siècle qu'elle muait en estampes au vitriol, tout cela le bousculait comme il ne l'avait jamais été, le déshabillait de toutes ses certitudes. Dans un éclair, il vit une terrible vérité : tout ce qu'il révérait en matière de poésie ne valait pas la plus humble des chansons de cette femme. Et cette femme était comme le moteur radioactif de cette révélation, la révélation même.
Il serait le grand prêtre de cette religion-là qui ne manquait déjà pas de disciples : Jean Cocteau, évidemment, mais aussi René Crevel et son frère jumeau d'Allemagne Klaus Marin, Marcel Herrand et les jeunes gens chics de Moysès; plus bon nombre de boulevardiers amoureux de la grande tradition héritée d'Yvette Guilbert, Henri Jeanson, Michel Georges Michel, Louis Léon-Martin, Pierre Lazareff ou Maurice Veme, tous se répandant dans leur journal respectif en superlatifs. Mais Desnos servirait toutes les églises, et sur le maître-autel. Il serait celui qui écrirait l'article anthologique du journal littéraire: "Il a suffi qu'elle chante pour que trous prenions conscience de notre lâcheté amoureuse, de l'absence intolérable du pathétique dans notre vie. Elle nous enseigne le départ avec son cortège de bilans sentimentaux, d'orgueil et de rancunes étouffées, la suprématie de l'amour sur les lois morales, la solidité des liens qui accouplent la sensibilité et la sensualité, l'irrémédiable déchirement des vies sans folie. C'est l'âme de l'homme enfin révélée qu'elle exprime. " C'est lui aussi qui lui ouvrirait toutes les portes de son uvre en devenir, lui dédiant en secret La Liberté ou l'Amour ! et l'implorant de nourrir chaque vers des Ténèbres, elle que la passion envahissante de Desnos flatte mais perturbe parce que l'amour masculin lui est devenu rebutant depuis le temps où, durant l'occupation de la Belgique, elle devait chanter et aller au-delà, sans doute, pour la soldatesque commandée par Alfred Flechtheim, le grand amateur d'art francophile.
Quand elle le retrouvera, cinq ans plus tard, à une
table du Buf sur le toit, ce sera devant Maurice Sachs qui
se hâtera de cancaner les raisons quasiment patriotiques
du retournement des préférences sexuelles d'Yvonne.
Et le poète qui, dans La Voix de Robert Desnos, énumère
pourtant les soumissions du monde au pouvoir de son désir
ne peut que conclure le poème sur ces trois vers désenchantés
:
Celle que j'aime ne m'écoute pas
Celle que j'aime ne m'entend pas
Celle que j'aime ne me répond pas ".
Il n'en désespère pas pour autant, multipliant les actes poétiques et journalistiques, quand ce ne sont pas des recours à la chiromancie : son colocataire Georles Malkine le surprend en train d'enfouir des messages à Yvonne dans de petites figurines de plâtre qu'il garde pour lui seul. Elle, préfère pour sa part la proposition qu'il lui lance d'être pour lui ce que fut Jenny Colon à Nerval. Voilà qui les plaçait dans une perspective hautement culturelle tout en évitant le contact des épidermes. Alors, Desnos fuma-t-il l'opium et prisa-t-il l'héroïne pour établir avec elle, au moins ce bref et illusoire contact dont il parle dans Le vin est tiré... : " Ils savaient bien que ce baiser ne consacrait qu'une même douleur, que la Même souffrance provoquée par le vide de leur cur, l'infirmité de leurs nerfs et de leurs muscles intoxiqués... "
Elle, elle s'y abandonnait totalement, sauvagement, l'aggravant de cuites monumentales et répétées. Les souvenirs de ses contemporains abondent de ses excès et de ses esclandres. Georges Van Parys, qui l'accompagna Chez Fisher, relate ses coupes de champagne jetées aux visages des richissimes clients de la boite de la rue d'Antin. Jean Wiener, qui l'accompagna aussi et la fit engager pour sa comédie musicale Le Village blanc au Théâtre des Champs-Elysées, laisse entendre qu'on du la remplacer in extremis pour cause d'éthylisme et d'aphonie. Jean Tranchant parle dans ses mémoires de " cette ombre de velours vert qui s'accrochait au rideau pour ne pas tomber ". Au réveillon de 1924, tout Paris l'attend pour le gala organisé par Rolf de Maré -directeur d Ballets suédois -, Francis Picabia René Clair, mais elle reste introuvable.
Et Jacques Charles, qui l'engagea` pour la dernière fois, au Moulin Rouge, en 1929, la voit arriver à la répétition, " à quatre heures du matin, titubante, l'oeil vague et la parole encore plus ". Et pourtant, à cause peut-être de ce lent suicide public, l'art d'Yvonne George - par ailleurs entièrement maîtrisé par un travail méticuleux, une dissection de chaque intention du texte atteint à une fulgurance qui oblige les critiques à d'extraordinaires déploiements lyriques. Ceux qui la sifflèrent naguère pour son " intellectualisme " s'extasient désormais sur ses confondantes trouvailles visuelles, ses " sorties " restées fameuses, cette façon d'en faire juste assez pour en suggérer plus.
Elle est cette femme, toujours abandonnée, lançant, à bout de souffle, un "Pars/Sans te retourner" qui va marquer la mémoire de la chanson, ou bien encore celle qui dit, d'une petite voix plaintive, " C'est pas fini/dis ? ", celle qui, de toute évidence, se tient tout entière consumée, implorante et royale en sa détresse, derrière l'héroïne de La Voix humaine. Cocteau, toujours, qui reportera sur Marianne Oswald et Edith Piaf les feulements qu'elle n'eut pas le temps de prendre à son Compte.
C'est le nom de ce rival abhorré qu'Yvonne George lança au visage de Desnos, quand elle revint, quelques minutes plus tard, de la salle de bains, changée, le regard vif, la chevelure soigneusement peignée avec cette petite vague blonde sur l'il gauche. " Oui, Jean... Il organise pour moi une grande soirée au Grand Ecart !... C'est bien, de sa part, non ?... Comme ça, je pourrai aller me reposer un peu à Arcachon... Tu viendras, bien sûr?" Il n'en était pas si sûr que ça, cette clique mondaine l'exaspérait, même si elle se liguait pour essayer de sauver Yvonne. Et cela se doublait de l'humiliation de ne pouvoir rien faire, pour sa part, que d'aller négocier un sachet de blanche à Montmartre. Mais ça ne faisait rien : elle était là, devant lui, vivante, et cela suffisait à lui faire monter les larmes aux yeux.
Elle mourut, moins d'un an après, usée, dans une chambre d'hôtel de Gênes. Un oiseau de malheur avait annoncé sa fin avant l'heure. Elle envoya des rectificatifs: elle allait mieux, elle préparait sa rentrée... Mais elle ne revint à Paris que pour être incinérée, le 26 avril 1930, au crématorium du Père-Lachaise.
Robert Desnos, spirite, guetta désormais ses apparitions nocturnes, au pied de son lit. Elle y vint souvent. Puis il commença à superposer l'Y d'Yvonne avec celui de Youki, à mélanger l'étoile et la sirène. Après le sublime enfer de la chanteuse, l'espoir d'un peu de vie, enfin. Pourtant, jusqu'au bout, elle sera là, bien que totalement oubliée, quand il cherchera un exemple éclatant à proposer aux lecteurs de ses chroniques discographiques, la veille de son arrestation par la Gestapo, en 1944. Et elle est là, toujours, clans son Infinitif à l'acrostiche double, à jamais solidaire et séparée de lui par le poème, par l'amour, par la vie.
Y mourir ô belle flammèche y mouriR |
- L'auteur de ce texte remercie Marie-Claire Dumas et Hélène
Hazéra.
- on trouvera l'essentiel des uvres de Desnos chez Gallimard,
notamment dans la collection de poche " Poésie ".
Sur Desnos et le monde du spectacle, citons: Robert Desnos ou
l'exploration des limites, de MarieClaire Dumas (Klincksleck,
1980), le Cahier de l'Herne Desnos (1987), et Les Voix intérieures,
qui comporte tous les textes de chansons de Desffl (éd.
Le Petit Véhicule, Nantes, 1987). Enfin l'enregistrement
des chansons d'Yvonne George (19251928), chez Chansophone.
© Le Monde, 14 Août 1998. Tous droits réservés.
Rachilde saisie par la débauche
Par Pierre Philippe
Le Monde 21 Août Des écrivains fascinés par
le music-hall : chansons, danses, caf' conc
Souvenirs
Parfum de nostlagie, d'une France d'avant la fracture de 1940-1945.
Dernière de ces quatre folles histoires et vraies passions:
Rachilde et Nel Harroun, le "micheton" et son "gig".
Paul Léautaud, dans sa canfouine, dressa l'oreille et posa sa plume. Qu'est-ce que c'était que ce chahut, là-haut, chez les Vallette ? L'immeuble de la rue de Condé n'était pas familier de ce concert de meubles remués, de criaillements mêlés d'hommes et de femmes avec, en prime, le cliquetis d'un objet de verrequ'on brise. Il ricana : c'était bien le comble que le Mercure de France connût l'agitation sordide d'un mauvais lieu ! Il sortit dans l'escalier, y croisa Mme Izambard, la concierge, qui montait précipitamment à l'étage noble, suivie de quelques employés. Ils échangèrent un regard mi- navré mi-complice. A n'en pas douter, le ruffian de Mme Rachilde était en train de faire des siennes... Mais, bien qu'il eût une forte envie d'aller contempler les grotesques conséquences des passions humaines, il retourna dans son placard pour finir d'y corriger les épreuves de la revue, murmurant pour lui-même : " Pauvre folle..."
" Je suis vraiment désolé de ce qui vient d'arriver, monsieur... Mais il faut m'excuser : nous autres, en Roumanie, sommes un peu colériques... Et quand nous sommes à court d'arguments... " L'homme arborait un sourire désarmant et commençait à ramasser les livres jetés à terre, les fragments du vase fracassé. Alfred Vallette, le patron du Mercure, tombait dans un fauteuil, la main sur son coeur battant. Il porta un regard plein de tendre pitié sur son épouse, vaillante au milieu du désordre. C'était du propre, cette vieillarde épaisse avec ses cheveux blancs tirés en chignon, sa robe d'intérieur mauve à volants de dentelle de Bruges, contemplant, amoureusement terrorisée, ce type agenouillé qui tentait de réparer les effets de sa fureur. Il congédia d'un geste la concierge. On pouvait peut-être clore un tel charivari par une négociation à l'amiable, loin de témoins goguenards. La main de Vallette tapota son chéquier. Allons, que voulait ce jeune homme? Un peu d'argent, comme d'habitude. Lorsque cela fut expédié, il affermit sa voix : " Bien entendu, monsieur Nicolesco, vous vous engagez, après cela, à ne plus importuner Mme Rachilde. " Mais il vit bien, dans le regard gris de sa femme et dans celui du bellâtre, sombre sous les longs cils gominés, qu'il n'en serait rien.
Cette scène un peu trop pittoresque n'était que l'épilogue provisoire d'une situation qui durait depuis cinq ans. Depuis cette année 1929 où Marguerite Eymery, épouse Vallette, dite Rachilde, l'égérie de la légendaire revue et maison d'édition au caducée, rendez-vous des symbolistes et de quelques autres aux grandes heures du mouvement (1890 - 1910), s'était brusquement confrontée à ce qui peut probablement arriver de pire à un écrivain : l'apparition in vivo du personnage récurrent de son abondante production littéraire. La mixture prémonitoire de Chéri, de l'ange Heurtebise et de Querelle de Brest. Un type qu'elle avait elle-même enfanté en 1884, à vingt-quatre ans, en faisant publier Monsieur Vénus, cette remise en question de toutes les lois de la nature, avec le personnage de Jacques Silvert, Hercule enfant poussé à la transsexualité par le caprice d'une belle insatisfaite à cravache... Une bombe qui avait éclaboussé vieux et jeunes crocodiles du marigot des lettres l'avait fait surnommer " Mlle Baudelaire " par Maurice Barrès et l'avait auréolée à vie d'une nuée de soufre. Barbey, Goncourt, Huysmans, Mendès et Wilde l'admirèrent, sans parler de Verlaine, de Lorrain et de Louis II de Bavière. Le drame est que après ces débuts sataniques, elle se trouvait condamnée à tenter d'en réitérer les échos, alignant, d'année en année, des Madame Adonis, des Hors-Nature et autres Heure sexuelle sans parvenir au flamboiement aujourd'hui délicieusement fin de siècle de son chef-d'oeuvre de jeunesse. La conséquence était aussi qu'elle reprenait à chaque fois la peinture, jamais assez captivante à son goût, de ce frère de Dorian Gray (apparu, lui, en 1891) qui devait bien évidemment à chaque fois périr atrocement après avoir chamboulé la vie d'innombrables marquises, peintres de renom,hobereaux de province et autres proies consentantes.
La fin de la guerre de 14-18 avait délié les entraves imposées aux femmes. Elle avait aussi considérablement amenuisé le magistère du cénacle de la rue de Condé et de sa grande prêtresse. Si elle y tenait toujours salon, le mardi, elle s'était mise à courir la ville, en proie aux plaisirs nouveaux d'une époque qui revendiquait le droit de se dégourdir les jambes au rythme des trompettes des jazz-bands débarqués à Bordeaux et à Saint-Nazaire en juin 1917. Sa cour de jeunes adorateurs l'entraînait, sans qu'elle y trouvât trop à redire, dans ces bars, ces spectacles et ces soirées privées où, pensait-elle, elle découvrirait quelque thème émoustillant pour son prochain ouvrage. Et, de fait, ses lecteurs commençaient à lire les descriptions, vertueusement scandalisées, de ces " soirées persanes où l'on pouvait voir évoluer en des poses plastiques un danseur oriental au nombril illuminé de rouge à lèvres... " Ainsi Joan Nicolaï Nicolesco Nel Haroun de son nom d'artiste entrait-il en majesté dans l'oeuvre de Rachilde.
Le corps nu, qui avait fait au music-hall une tapageuse irruption au début du siècle avec les exhibitions de Mata Hari, de Régina Badet ou de Colette Willy, tendait à la conquête de l'espace laissé libre par la mise au rancart des gommeuses épileptiques et des tourlourous à l'accent rural. La femme nue devenait l'une des figures fondamentales de ces revues, de plus en plus audacieuses et opulentes, qui seraient aux années 20 ce qu'avait été l'opéra aux dernières années du siècle. Des femmes qui allaient faire battre le coeur des gens de plume (ainsi Edmonde Guy affolerait-elle Pierre Benoit, Tania Visirova Roger Vailland et Joséphine Baker Georges Simenon).Mais ce n'était pas assez des Aphrodites, il fallait que s'y joignent des Apollons pour que vibrât l'âme des spectatrices (et de certains spectateurs aussi). Alors entrèrent dans l'histoire du music-hall des Herbert Stoowitz, des Paul Swan et des Edmond Van Duren à qui succédèrent des Spadolini, des Frédéric Rey et, bien plus près de nous, un Jorge Lago qui éclipserait sans mal, aux yeux d'Aragon, les mérites de Zizi Jeanmaire lors de son numéro de L'Eveil du sultan dans la revue du Casino de Paris en 1972. C'est à cette race de danseurs dévoyés dans l'exhibitionnisme qu'appartenait le bouillant Roumain imprudemment introduit par Rachilde dans son oeuvre. Et dans sa vie.
Elle allait avoir soixante-dix ans, écrivait ponctuellement auprès d'un mari-frère et négligeait sa fille unique. Elle devinait vaguement qu'elle avait raté son oeuvre, sinon sa vie, et s'était mise à cultiver l'esprit de contradiction jusqu'à passer elle, la prophétesse de la sainte liberté des pulsions pour la figure emblématique de tous les conservatismes. Et ce n'était pas la moindre de ses contradictions que de s'amouracher de cette créature exotique (car roumain ce n'était pas assez, et elle l'avait naturalisé turc...) dont on ne savait rien, sinon qu'elle n'était pas avare de ses charmes et les monnayait présentement à une certaine baronne von Wagner, dite Léonie Lorraine, l'une de ces aventurières à la nationalité aussi imprécise que l'état civil et qui logeait au Ritz, mais sous les combles. Le landernau littéraire pouvait dès lors assister, entre réprobation et apitoiement, à la chevauchée impudique de l'ancienne papesse prise de vertige. Et, scribe vipérin, Léautaud commencer à égayer son Journal des frasques de la patronne, notant, non sans quelque secrète envie, qu'" elle traîne partout, et la nuit jusqu'à 4 heures du matin, avec tous ces jeunes gens d'allure assez équivoque. Jolis garçons pour la plupart. Elle-même le répète à chaque instant, parlant de l'un et de l'autre : ``Il est si beau !`` " On la voyait au Boeuf sur le toit et au bar interlope que tenait l'ancien champion de boxe Georges Carpentier, boulevard de la Madeleine. On la repérait entre Pigalle et Blanche, partout où l'on s'amusait. Elle était increvable, comme si la présence auprès d'elle du danseur faisait lever ses dernières forces. On l'avait vue faisant le coup de poing contre les surréalistes, lors du fameux banquet Saint-Pol Roux à la Closerie des lilas. Elle traînait à présent dans la boue les féministes, au Club du Faubourg, en raison de l'infériorité mentale bien connue des femmes ! C'est qu'elle doute profondément d'en être une et se conduit avec Nel Haroun non comme une femme amoureuse mais comme un " micheton " classique (Jean Lorrain ne lui écrivait-il pas : " Vous êtes mieux qu'albémique, archaïque et satyriasique : je vous trouve délicieusement pédéraste "), soucieuse, avant tout, de lui prouver l'étendue, l'éclat de ses relations et l'avantage qu'il pourrait en escompter. Le beau Roumain ne se le fait pas dire deux fois. Paraître en guest star dans les romans de sa protectrice comme dans L'Homme aux bras de feu ne lui suffit bientôt plus. Elle a beau lui dédier La Femme aux mains d'ivoire, placer en tête de ses Portraits d'hommes la sanguine qu'il trace d'elle (car le bougre a de multiples talents), il fait monter les enchères. Elle saute le pas en 1930, écrivant les cent premières pages de Mon étrange plaisir, une prétendue autobiographie d'Haroun, qu'elle s'en va proposer à Bernard Grasset. Refus. Comment faire comprendre au jeune homme que son nom seul ne lui ouvrira pas les portes de l'édition ? Elle se décide à lui avouer qu'elle fera paraître le récit sous son propre nom, chez Baudinière, quitte à le remercier pour son aimable participation. Il entre en fureur : " Je ne puis céder une chose qui m'appartient sans voir mon nom dans la préface et sur la couverture, s'il y en a une... " Il menace, lui rappelle sans vergogne qu'il a nourri ses derniers romans de sa luxurieuse présence... Et lui conseille de passer l'affaire à Vallette, qui sait, lui, parler aux éditeurs ! Il oscille entre larmes et menaces. Il lui faut 300 francs tout de suite ; la baronne von Wagner le lâche ; comment payer le Ritz ? Après le paradis, l'enfer a commencé pour la pauvre Rachilde.
Car si elle assumait à merveille son rôle de " miché " (se portant garante de lui, par exemple, auprès de la préfecture de police lorsque son visa vient à expiration), il tenait celui de " gig " avec une parfaite cohérence, la rançonnant, commettant chez elle quelques larcins et allant, parce qu'un peu de passion fait toujours bien dans le tableau, jusqu'à lacérer son portrait exécuté par un rival. Ainsi en était-on arrivé, dans la digne maison de la rue de Condé, à voir et entendre des scènes plus dignes des romans de Francis Carco que de ceux de Georges Duhamel. Et cela ne faisait pas vraiment peur à Rachilde, qui écrivait à son protégé : " Je suis à la fin de ma vie et j'ai gardé le goût du risque. Ce serait ridicule si j'étais une femme ordinaire mais, vous le savez, je n'ai pas un seul de leurs instincts primordiaux. Je n'aime pas les hommes, d'une façon ou d'une autre... " Eh oui, elle n'aimait que les Diego Sandovar et autres Lucian Dalvar qu'elle manipulait à sa guise dans ses textes, sur le mode sado-masochiste dont nul ne sait si elle le pratiqua dans la vie courante : Nel Haroun la contraignit-il, comme le croit l'une de ses historiographes, au spectacle d'un meurtre par lui commis ? En tout cas, elle décida, pour sa part, de le zigouiller, littérairement parlant, dans son " polar " de 1937, L'Autre Crime. En comtesse de Givray (...), élégante veuve (Vallette était mort en 1935) portée sur les voyous, elle finissait par révolvériser un sosie d'Haroun, " mèche noire lui barrant le front, les yeux lumineux, toujours insolent et beau, les gestes souples sous le smoking... ". C'est que la comtesse devait partager avec lui l'aveu du meurtre d'un directeur de music-hall, amateur de " petits marins ". Nous étions à quatre ans du meurtre d'Oscar Dufrenne, directeur du Palace, à moins d'un de celui de Louis Leplée, " découvreur " de Piaf. Nel Haroun avait dû se sentir honoré...
Le sort accablait chaque jour un peu plus la vieille littératrice déphasée. Son cher Mercure cédé, elle se replia à Corbeil, dans ces " Bas Vignons " où, autrefois, Alfred Jarry et elle venaient faire de la bicyclette. Elle écrit toujours, en plein exode de 1940. Ce sera Face à la peur. A la page 160, sur le mauvais papier de l'Occupation, une silhouette y surgit. Elle crie, elle a reconnu " l'objet du luxe ", Nicolesco lui-même qui, d'un pas tranquille de promeneur, fait l'exode à sa manière. Qu'est-il venu chercher ? Elle n'ose y penser. Le soir vient. Pour la première fois, peut-être, ils dorment, seuls, sous un même toit. Puis il repart vers quelle destinée ? , la laissant étonnée qu'il ne l'eût point tuée dans la nuit.
Elle mourra en 1953, à quatre-vingt-treize ans, dans la misère et l'indifférence générale, avec, à son cou, le médaillon renfermant la photographie de son " Monsieur Vénus " incarné : Nel Haroun.
par PHILIPPE PIERRE
L'auteur de ce texte remercie Edith Silve.
A lire : Rachilde, de Claude Dauphiné (Mercure de France,
1991) ;
et de Rachilde :
Mon étrange plaisir (Joëlle Losfeld, 1993),
Monsieur Vénus (Flammarion,1977),
La Marquise de Sade (" Folio "-Gallimard, 1996),
La Tour d'amour (Mercure de France, 1994).
© 21 Aout 1998. Le Monde. Tous droits réservés.
Fin de l'article.
A écouter: Monsieur Vénus, texte de Pierre Philippe, musique de Juliette Noureddine sur l'album "irresistible", d'après le roman de Rachilde, "Monsieur Vénus"